S21.T01
Composer avec le réel initie une conversation entre nos réalisations sur un territoire – la Dordogne – et la valorisation d’une collection d’inspirations et de références vernaculaires sur ce même territoire.
L’agence concentre sa pratique professionnelle sur des lieux éloignés des centres-villes des grandes métropoles. Dans ces territoires où la frontière entre ville et campagne s’estompe progressivement en un flou constitué de la superposition indifférenciée de deux phénomènes jumeaux : péri-urbanisation et péri-ruralisation. Là où, faute de mieux, des architectures standardisées, du pavillon au hangar agricole, sont vendues comme produits de consommation courante et viennent s’agréger à un patrimoine vernaculaire, altérant peu à peu un paysage rural ou villageois, héritage d’une construction humaine ancestrale et d’une sédimentation séculaire.
Dans cette période de métropolisation intense, de concurrence accrue et de sécession des territoires, en tant que praticiens, nous sommes confrontés à un certain sentiment de méfiance. Accentué par le retrait progressif des services déconcentrés de l’état et le tarissement de l’investissement public, domine un rejet de ce qui est imposé par le haut : l’architecture est vécue comme un luxe, et le recours à un architecte comme une fâcheuse obligation légale.
Nous concevons alors notre métier en «médecin de campagne». L’architecte est à l’échelle locale le rouage essentiel de la mise en place d’une politique de qualité urbaine et architecturale. C’est le dernier intermédiaire entre les différents organismes et agents de conseil (CAUE, ACE, PCE), les services déconcentrés de l’état (DRAC / STAP) et le grand public. Par notre position, nous sommes en quelque sorte le plus petit dénominateur commun de l’intérêt général, garants d’une certaine idée de la qualité bâtie et paysagère.
Dans ces territoires excentrés, fragilisés par la globalisation, nous ne fantasmons pas sur les savoir-faire locaux et les circuits courts : il nous faut composer avec le réel. Dans une économie de projet rationnelle, le parpaing a depuis longtemps remplacé le mur en pisé, la pierre n’est bien souvent qu’un parement sur de la brique creuse et il faut bien des ruses pour avoir de l’ardoise de la Montagne noire au même prix que les produits d’exports espagnols. Avec des matériaux industriels, banals, et en se battant pied à pied, il nous semble indispensable d’essayer de territorialiser progressivement une architecture devenue hors-sol, à travers une exigence forte relative à la mise en œuvre et sur aux procédés tectoniques.
C’est avec des composants communs et une commande conventionnelle que l’agence reprend à son compte la notion de projets ordinaire-extra : le temps du projet, de la conception au chantier, est conçu comme un temps pédagogique et d’échanges, avec tous les acteurs parties prenantes autour de l’objet architectural. Non consensuels, nos projets architecturaux veulent systématiquement susciter la discussion, du client aux entreprises, de l’ABF aux services instructeurs, sur une tentative de définition d’un patrimoine contemporain.
Nos projets rentrent en conversation avec leurs sites, ni pastiches, ni exogènes. Pour cela nous nous appuyons sur une écriture architecturale duale : contextuelle elle s’enracine dans le vernaculaire et les préexistences du site ; savante, elle est le fruit d’une compilation passionnée et actualisée de références de la production architecturale moderne et actuelle. Cette double lecture d’une architecture enracinée et contemporaine nous permet de nous adresser au plus grand nombre : c’est le langage architectural même qui veut être vecteur de diffusion de la culture architecturale.
Nous nous tenons aujourd’hui sur une ligne de front essentielle, dans une place presque vide, que les architectes doivent reconquérir impérativement.
Il nous faut «faire campagne» en somme, pour l’architecture.